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LA POLITIQUE DE MOBILITE DANS ET AUTOUR DE BRUXELLES (JANVIER 2006)
Pascal Smet, ministre bruxellois de la mobilité, entend réduire de 20% le nombre de voitures qui rallient Bruxelles chaque jour d’ici 2010. Parallèlement à l’aménagement de sites pour les trams, de bandes de circulation réservées aux bus, de pistes cyclables et à la création d’un centre de gestion du trafic, 6.000 places de parking supplémentaires seront mises à la disposition des navetteurs à proximité des stations de métro – triplant ainsi le nombre de places actuel, qui s’élève à 2.790. Dans le cadre de ce plan, nous avons invité Luc Bontemps, administrateur délégué de FEBIAC, à nous exposer son point de vue sur ces projets et sur la problématique plus générale de la mobilité dans notre capitale.
6.000 places de parking supplémentaires aux abords
des stations de métro, c’est en tout cas un beau pas en avant?
Luc Bontemps: Un ‘triplement’ semble toujours
prometteur, mais on n’atteindra même pas 9.000 places de parking
au total, un chiffre bien dérisoire si l’on songe aux 370.000
navetteurs qui rejoignent chaque jour la Région bruxelloise. C’est
un fait, tous les navetteurs ne doivent pas renoncer à leur voiture
à Bruxelles ou s’y refusent simplement. Un peu plus de 200.000
automobilistes qui y travaillent habitent en dehors de la Région
bruxelloise. Certains sont disposés à laisser leur voiture
sur le parking d’une gare proche de chez eux et à utiliser
les transports en commun. La Région de Bruxelles-Capitale comme
la périphérie doivent adapter l’offre de places à
la demande réelle, qui vise, d’après les estimations
de FEBIAC, un nombre bien supérieur à 6.000. En périphérie
également, on observe des besoins de parking importants à
certains endroits. Il est crucial de proposer une offre étendue
et bien répartie pour assurer le succès d’un réseau
de transports en commun dans et autour de Bruxelles. FEBIAC se rallie
dès lors à l’avis du ministre Smet, qui a demandé
aux autres régions et au fédéral de prévoir
suffisamment de parkings de dissuasion, plus particulièrement aux
abords des gares du RER. Toutes les gares devraient idéalement
être dotées d’un parking pour les navetteurs, au lieu
de se limiter à quelques grandes gares offrant de nombreuses possibilités
de station nement; le trafic local risque sinon d’enregistrer une
hausse démesurée.
Les parkings de dissuasion doivent inciter les automobilistes
à y laisser leur voiture, affirme Pascal Smet.
Luc Bontemps: FEBIAC soutient déjà l’idée
de multiplier les parkings de dissuasion. Cela fait longtemps que les
navetteurs ont besoin d’une offre de parking digne de ce nom, comme
en témoignent la circulation générée par la
recherche de places de parking et les difficultés de stationnement
auxquels les habitants des quartiers proches des gares sont parfois confrontés.
Toutefois, seuls les titulaires d’un abonnement de transports en
commun devraient pouvoir accéder gratuitement à ces parkings.
FEBIAC veut également assurer cette gratuité aux navetteurs
et aux visiteurs qui n’ont pas d’abonnement, mais qui souhaitent
y laisser leur voiture pour prendre le métro, le tram ou le bus
: ils contribuent ainsi à alléger la circulation et rendent
la ville plus accessible aux personnes qui doivent impérativement
s’y rendre en voiture, que ce soit pour des raisons professionnelles,
sociales ou commerciales.
Bruxelles et la Wallonie font figure de pionniers dans
leur volonté d’harmoniser trafic automobile et transports
en commun. La Flandre suit-elle le mouvement?
Luc Bontemps: Contrairement à la Wallonie, la Flandre
n’est guère enthousiaste à l’idée de
considérer la voiture comme un outil permettant d’améliorer
l’accessibilité et l’attrait des transports en commun.
Dans son plan relatif aux navettes, la ministre flamande de la mobilité,
Kathleen Van Brempt, ne dit pas un mot sur le rôle de la voiture
pour les trajets effectués avant ou après l’utilisation
des transports en commun. Certains milieux continuent à penser
que le navetteur n’a qu’à laisser sa voiture à
la maison et prendre le bus ou le vélo jusqu’à la
gare du RER, peu importe que cela lui convienne ou non. Cette vision des
choses ne concorde guère avec la réalité quotidienne
du navetteur ordinaire.
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Celui-ci veut rejoindre son lieu de travail –
en supposant déjà qu’il n’y ait pas d’étape
en cours de route – le plus rapidement possible, en limitant
au mieux le nombre de moyens de transport empruntés. Chaque
halte lui fait perdre du temps et renforce sa répugnance
à renoncer au mode de transport unimodal qu’est la
voiture. Nier le rôle joué par la voiture avant et
après l’utilisation des transports en commun ne fera
pas avancer la mobilité d’un pouce.
FEBIAC continue donc d’insister sur la nécessité
d’améliorer la complémentarité et l’intermodalité
des différents moyens de transport, ce sont là les
clés d’une politique réussie. |
Quoi qu’il en soit, Bruxelles veut réduire
le nombre de voitures de 20 % en 2010…
Luc Bontemps: Pour ce faire, il suffit –en présentant
les choses de manière simplifiée –de réduire
de moitié la capacité du réseau des grandes artères
bruxelloises au profit de «l’espace public »ou d’une
voie réservée aux bus en permanence. Cette solution est
prévue pour les boulevards du centre de Bruxelles et a été
mise en oeuvre récemment sur la chaussée de Mons, autant
de grands axes fort fréquentés et bordés d’une
multitude de commerces dont le chiffre d’affaires dépend
partiellement de l’accessibilité en voiture. Sur la chaussée
de Mons, les conséquences sont claires : aux heures de pointe,
le bus peut être sur place un peu plus vite, mais le fait d’avoir
réduit de moitié la capacité réservée
au trafic automobile génère maintenant des files là
où il n’y en avait pas pendant la journée, les automobilistes
utilisent des itinéraires bis et parcourent ainsi davantage de
kilomètres, alors que la bande des bus est largement déserte.
Cette monopolisation de la voie publique est donc particulièrement
inefficace. Ce n’est pas possible, il faut en finir avec ce genre
de situation. Aux heures de pointe, les bandes libres réservées
aux bus doivent être ouvertes à d’autres groupes cibles
comme les taxis, les transports collectifs organisés par des écoles
ou des entreprises –le plan Van Brempt en fait d’ailleurs
mention. Si la bande des bus reste encore sous-utilisée en pleine
heure de pointe, les camions de distribution urbains pourraient aussi
être autorisés à y circuler. En dehors des heures
d’affluence et le week-end, la bande des bus doit être rouverte
à tous les modes de transport, certainement aux endroits oùse
concentrent de nombreux commerces.
Depuis longtemps déjà, FEBIAC met en garde
contre l’impact des limitations de capacité imposées
au trafic automobile. Elles ont en effet un lien direct avec l’activité
économique.
Luc Bontemps: C’est exact. Si Bruxelles veut
se développer sur le plan économique, il faut tenir compte
de l’accroissement du trafic. La croissance économique génère
davantage d’emplois, mais intensifie aussi les échanges commerciaux
et le transport –au grand dam de ceux qui s’acharnent à
dissocier la croissance économique et l’augmentation du trafic.
Il est utopique de croire que les transports en commun pourront, à
eux seuls, absorber cette augmentation. À l’avenir également,
la voiture restera un outil de travail important pour le navetteur moyen,
elle continuera d’être largement utilisée pour faire
les courses, tandis que nombre de produits et de services pourront exclusivement
être livrés à l’aide de la voiture (ou du camion).
La politique doit par conséquent faciliter cette croissance, en
limitant au mieux ses répercussions négatives, au lieu de
faire de la réduction du trafic (automobile) un but en soi.
Tout le monde s’accorde néanmoins à
reconnaître qu’il est impératif de réduire les
nuisances causées par les voitures. Le plan bruxellois ne ferait-il
donc pas mieux de parler d’une réduction de 20 % des nuisances
automobiles en 2010?
Luc Bontemps: FEBIAC plaide expressément pour
une amélioration de 20 % –et plus encore, si possible –en
termes de pollution, d’insécurité et de congestion.
Mais il n’est pas nécessaire d’avoir 20 % de voitures
en moins pour autant.
Ces dernières années, la qualité
de l’air en ville s’est améliorée –malgré
l’accroissement du trafic. Et il est possible d’accélérer
le mouvement, en donnant notamment une orientation ”plus verte”
à la fiscalité automobile : à Bruxelles, 1 voiture
sur 3 ne satisfait même pas à la norme environnementale Euro
1 (qui est la moins sévère), mais représente jusqu’à
80 % des émissions de certains gaz polluants. On est aussi sur
la bonne voie en ce qui concerne la sécurité routière
: le nombre d’accidents mortels et impliquant des blessés
a été réduit de plus de moitié depuis 1990.
Ces efforts permanents devraient se traduire par une diminution constante
du nombre d’accidents. Du point de vue de la congestion, la longueur
des files, leur fréquence et leur durée peuvent être
limitées en promouvant le télétravail, l’utilisation
du vélo –un grand nombre de Bruxellois prennent la voiture
pour des déplacements très courts ! – mais aussi par
une info-trafic efficace et une bonne gestion de ce trafic. À cet
égard, on attend toujours la création d’un centre
de gestion du trafic.
Et le ring de Bruxelles? La congestion du ring est suspendue
au-dessus de nos têtes telle une épée de Damoclès...
Luc Bontemps: La saturation du ring de Bruxelles
amène de plus en plus souvent les automobilistes à faire
des détours, dans et autour de Bruxelles, ou à sillonner
la Région bruxelloise qui, à son tour, veut réduire
la capacité de certaines routes principales. Pour éviter
une impasse, Bruxelles et les Régions doivent prendre au plus vite
des actions centrées sur la capacité du ring de Bruxelles,
dont la création du fameux centre de gestion du trafic correspondant.
On peut par exemple imaginer une séparation physique entre le trafic
de transit et le trafic de destination, en aménageant des bandes
essentiellement destinées au trafic de transit, d’une part,
et en reliant des voies parallèles aux bretelles d’accès
et de sortie, d’autre part, afin que Bruxelles et sa périphérie
soient moins affectées par les nuisances du trafic de transit.
Le bouclage sud du ring doit en outre donner lieu à un débat
sur le fond. Il offre en tout cas une réponse à la saturation
du ring nord et assure une capacité d’absorption non négligeable
lorsque ce dernier est bloqué par un accident.
Une fois encore, la création d’un centre
transrégional de gestion du trafic doit être abordée.
Dans ce contexte, la Road Federation Belgium a récemment proposé
un projet de tunnel oùtrois bretelles d’accès et de
sortie débouchent sur des parkings de dissuasion, à partir
desquels Bruxelles est accessible avec les transports en commun. Nous
discuterons de ce projet plus en détail lors de la journée
d’étude Rail meets Road.
Votre conclusion sur les plans de mobilité conçus
pour Bruxelles?
Luc Bontemps: Vous savez, tant que les mesures de
réduction de la capacité ne s’accompagneront pas d’alternatives
valables pour la voiture, ce qui suppose une politique cohérente
en matière de parking, une approche solide pour le grand ring de
Bruxelles et un centre transrégional de gestion du trafic, l’accessibilité
de Bruxelles en tant que capitale régionale, fédérale
et européenne ne s’améliorera pas. L’impact
de ces mesures sur le développement économique de la Région
doit faire l’objet d’une analyse approfondie. Une étude
récente de l’ULB signalait déjà que l’accessibilité
de Bruxelles en voiture serait un critère essentiel pour motiver
les entreprises à s’y implanter. Bruxelles ne peut pas se
permettre de passer à côté de nouveaux investissements
parce que des entreprises renoncent à s’y installer, faute
de facilités automobiles satisfaisantes, ni de voir des sociétés
ou des institutions fuir la ville pour cette même raison. La problématique
de la mobilité dans et autour de Bruxelles mérite toute
notre attention. J’ai donc personnellement insisté pour que
la troisième édition de Rail Meets Road –que nous
organisons conjointement avec la SNCB et la FEB pendant le Salon Auto/Moto
– accorde une place centrale à Bruxelles. J’invite
tout un chacun à y assister et à prendre connaissance de
la problématique complexe du trafic dans et autour de Bruxelles.
La vision s’appuie sur la connaissance ; or, nous avons besoin d’une
vision si nous voulons résoudre ce problème majeur pour
notre pays.