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VERS UNE POLITIQUE REALISTE ET COMPETITIVE DES TRANSPORTS POUR L’EUROPE (MAI 2006)
L’ACEA, l’association des constructeurs automobiles européens, a chargé le bureau d’études NERA Economic Consulting de faire un rapport suite à la révision prévue du Livre Blanc européen du Transport (2001)
Ci-dessous, les principaux constats.
Le rapport part du constat que notre système de transport est devenu
un facteur de production essentiel de l’économie européenne
et qu’il influence par conséquent sa compétitivité.
Il en résulte qu’une politique de transport doit tenir compte de
cette donnée concurrentielle. NERA estime que cet aspect n’est
pas suffisamment mis en évidence dans la politique actuelle de l’UE.
Le rapport donne des influx pour combler cette lacune.
NERA
compare les objectifs et mesures politiques du Livre Blanc avec une série
de tendances (2) économiques et de transport de la Commission jusqu’en
2030. L’impact de plusieurs mesures est ainsi chiffré, l’étude
examine si les objectifs politiques sont atteints ou s’ils ne vont pas
à l’encontre des prévisions tendancielles de la Commission.
Historique et contexte du Livre Blanc
Dans le passé, la politique européenne des transports
était surtout placée sous le signe de la réalisation du
marché interne. A cet effet, la plupart des secteurs du transport ont
été libéralisés et les prinicpales restrictions
au libre trafic de personnes et de marchandises entre états-membres ont
été supprimées. Aujourd’hui, la tâche est quasiment
accomplie, seule la libéralisation du secteur du rail se fait encore
attendre. A l’aube du changement de siècle, l’intérêt
politique s’est reporté sur une mobilité durable. Le Conseil
européen des Ministres de Gothenburg a décrété en
2001 qu’il fallait s’attaquer à la congestion, à la
pollution et aux nuisances sonores en promouvant des modes de transport respectueux
de l’environnement. L’on souhaitait dissocier croissance du transport
et croissance économique, essentiellement via un ‘modal shift’de
la route vers le rail, la navigation et les transports en commun. La Commission
européenne a répondu à ces projets par son Livre Blanc.
Quatre paquets de mesures devaient mener à un transfert modal, supprimer
les points noirs, donner aux utilisateurs une place centrale dans la politique
de transport et maîtriser la globalisation du transport. En 2004, la compétitivité
de l’économie européenne occupait une place prépondérante
sur l’agenda politique. Le Sommet européen de Bruxelles prenait
alors conscience de ce que la compétitivité, l’innovation
et l’esprit d’entreprise sont déterminants pour la croissance
économique et pour le maintien du modèle social européen.
La politique des transports est également concernée, vu que notre
système de transport constitue un important facteur de production pour
de nombreux secteurs économiques.
Tendances économiques et de transport jusqu’en 2030
La croissance de la prospérité dans une UE en extension donnera
lieu à davantage de transport, surtout dans les nouveaux états
membres. Pour une croissance de 78% du PIB entre 2005 et 2030, la Commission
prévoit une progression de 44% dans le transport de personnes et de 69%
dans le trafic de marchandises. Il y a cependant une différence en dynamique
entre l’ancienne’ (UE-15) et la ‘nouvelle’ Europe (UE-10).
Croissance du transport à 2 vitesses
Le tableau 1 montre que la croissance du transport dans l’UE-15 ralentit
au cours des 25 prochaines années et demeure en dessous du rythme de
croissance des nouveaux états membres: ceux-ci sont en effet en train
de mettre en oeuvre un mouvement de rattrapage économique. Dans l’UE-15,
l’augmentation annuelle dans le transport de personnes reste depuis un
certain temps déjàen dessous de la croissance du PIB et devrait
encore ralentir pour s’établir à un peu plus de 1% seulement.
Le trafic de marchandises, qui au cours des 15 dernières années
a surpassé la croissance du PIB, devrait dans l’avenir atteindre
un rythme de croissance modéré, juste en dessous de celle du PIB.
En termes absolus, l’on ne remarque pas une dissociation significative.
L’UE-10, en pleine reconversion vers une économie de marché,
connaîtra en toute logique une croissance annuelle plus forte du transport,
de l’ordre de 2 à 3%. Il est encore moins question ici d’une
dissociation. La demande de transport se transforme en fonction de l’économie
L’économie européenne change structurellement: l’économie
des services et des connaissances croît plus fortement que les secteurs
à production intensive dans l’UE-15. Ceci a des conséquences
sur la demande de transport. Le transport en masses et en volumes, caractéristiques
d’une économie industrielle, croît plus lentement –aussi
bien dans le temps que dans l’espace –que les modèles de
déplacements ‘diffus’ dans les secteurs de services et de
connaissances intensifs. L’Internet (e-business, e-shopping) peut renforcer
cette tendance. Du fait que le rail et la navigation se prêtent moins
bien à ce type de transport de marchandises, l’on s’attend
à une demande plus forte de transport par route que de transport par
rail ou par voies d’eau, en témoignent les prévisions de
la part des routes dans le transport (voir graphique 1).

Que propose le Livre Blanc?
1. Réaliser un ‘modal shift’
Le Livre Blanc veut d’ici 2010 ramener les parts de marché des
modes de transport non liés à la route à leur niveau de
1998. Autrement dit, leur part de marché doit donc être hissée
au-dessus du niveau de 1998. Le secteur du rail (3) vise pour sa part à
étendre sa part de marché de 6% en 1998 à 10% en 2020 dans
le transport de personnes, et de 8% aujourd’hui à15% dans le transport
de marchandises. La pleine ampleur de cette ambition apparaît clairement
si l’on y ajoute les prévisions de croissance de la demande totale
de transport (voir tableau 2).
Les tendances de transport de la Commission européenne donnent une toute
autre image, ainsi qu’il ressort du tableau 3: dans le transport de personnes,
la part du rail se stabiliserait autour des 7% dans l’UE-15 et diminuerait
de 9% à 8% dans l’UE-10 entre 2005 et 2030. Dans le trafic de marchandises,
la part du rail passe de 12% à 9% et de 38% à 24% dans respectivement
l’UE-15 et l’UE-10. NERA considère dès lors ce projet
de ‘modal shift’comme irréaliste. Une politique qui se braque
sur un ‘modal split’souhaité, peut en outre porter atteinte
àla dynamique économique (exogène) et à la compétitivité.
2. Supprimer les goulets d’étranglement
Le Livre Blanc reconnaît le Réseau Trans-Européen (RTE)
comme étant un important facteur dans la capacité concurrentielle
européenne. Initialement, les programmes RTE devaient relier les systèmes
infrastructurels nationaux, les goulets d’étranglement recevant
la priorité. En 2004, une trentaine de projets ont été
sélectionnés.
Une majorité concerne des projets ferroviaires, qui représentent
environ 80% des coûts totaux du programme RTE; les projets routiers représentent
15%. L’attribution des bugets est ‘réglée’ par
une législation UE4: celle-ci exige que min. 55% des budgets RTE soient
affectés à des projets ferroviaires, et max. 25% à des
projets routiers.

Fin 2004, le programme RTE et la politique UE des transports ont été
analysés dans le cadre du projet ESPON5. Le rapport final fait état
de ce que le programme RTE améliore la prospérité et l’accessibilité,
mais ne contribue que de manière négligeable –1 à
2% sur 20 ans — àla croissance du PIB de l’UE –2 à
3% par an. Les projets finalisés montrent en outre que l’impact
global d’investissements dans le rail est faible en comparaison avec les
projets routiers. Des doutes existent quant à savoir si les budgets RTE
sont répartis de manière optimale sur les divers modes de transport.
Les ambitions RTE ont par ailleurs été récemment revues
à la baisse. Les états membres, qui en 2004 demandaient de réaliser
rapidement les 30 projets RTE, ont durant leur Conseil européen fin décembre
2005, ramené le budget requis de 20 milliards d’euros à
7 milliards. Plutôt que de répartir ce montant sur 30 projets,
la Commission envisage à présent une sélection restreinte,
avec une préférence pour le projet relatif à une meilleure
interopérabilité du rail européen et pour quelques passages
frontaliers prioritaires…
3. Maîtriser la globalisation du transport
NERA s’arrête aussi aux défis qui attendent le transport
dans le cadre de l’extension de l‘Union européenne. Le Livre
Blanc note une part de marché du rail de 40% dans les nouveaux états
membres, et considère cette donnée comme une chance unique d’atteindre
un modal shift dans une Europe élargie. Les nouveaux états membres,
déclare la Commission, 'doivent coûte que coûte être
convaincus de maintenir cette part de marché élevée. Des
réformes du rail doivent y être apportées aussi vite que
possible, avant que le transport routier ne l’emporte'. Quels sont
précisément les mérites d’une part du rail élevée
dans le développement économique des nouveaux états membres,
cela le Livre Blanc ne le dit pas. Se pose une fois encore la question de l’utilité
de cet objectif politique si aucune logique économique ne se cache derrière.
Si du fait de cet objectif politique les nouveaux états membres sont
gênés dans le futur développement de leur réseau
routier, ceci peut affecter la compétitivité, ceci tant par rapport
aux anciens états membres qu’aux autres régions industrielles
dans le monde.
Conclusion
L’ACEA tire les conclusions suivantes du projet NERA:
- Il ne faut pas s’attendre à une dissociation entre la croissance
du transport et la croissance économique, en tout pas dans la mesure
où la demande de transport stagnerait ou diminuerait;
- Ramener d’ici 2010 le modal split ‘en équilibre’
au niveau de 1998 n’est ni réaliste ni souhaitable, car cela
perturbe l’économie et hypothèque sa compétitivité;
- L’UE ne supprime pas ou trop lentement une série de goulets
d’étranglement, certainement en ce qui concerne l’infrastructure
routière;
- L’UE méconnait ainsi le rôle central qu’elle veut
donner aux utilisateurs dans la politique des transports, car une grande majorité
utilise précisément la route.
L’ACEA souhaite une politique de transport qui appréhende de manière
objective les forces/faiblesses de chaque mode de transport, qui retire le meilleur
de chacun d’entre eux et qui investisse dans l’intermodalité
là où il existe une réelle demande de marché. La
route mérite une plus grande attention que ce n’est le cas aujourd’hui.
Outre la suppresison des grands goulets d’étranglement et des chaînons
manquants dans le réseau routier européen, la gestion des capacités
peut limiter la congestion: penser au dosage des accès, aux couloirs
(temporaires) réservés aux transport collectif de personnes ou
de marchandises, à une gestion variable de la vitesse, à une augmentation
de capacité par une utilisation temporaire des bandes d’arrêt
d’urgence, aux bandes de circulation à contre-sens (tidal flow),
aux bandes de circulation rétrécies (marquages au sol dynamiques)…
(1) Rapport complet disponible sur http://www.acea.be
(2) European Energy and Transport - Trends to 2030, European Commision - DG
TREN, 2003
(3) E.a. UIR, CER, UITP et UNIFE
(4) Règlement 2236/95, modifié par le règlement 1655/1999