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FISCALITÉ VERTE : L’AUTO EN PREMIÈRE LIGNE (JANVIER 2009)
Ecobonus/malus wallon, écoscore flamand (et bientôt bruxellois ?), mesures fédérales présentes et à venir : la fiscalité verte a fait des voitures propres une priorité politique, à la grande satisfaction du secteur industriel. Echange de vues et synergies entre le Secrétaire d’Etat en charge de la fiscalité verte Bernard Clerfayt et l’Administrateur délégué de la FEBIAC Luc Bontemps, publié dans le journal La Libre Belgique.
C’est quoi exactement, une “voiture
propre” ?
Luc BONTEMPS: Pour nous, représentants sectoriels, un
véhicule est considéré comme “propre” s’il émet peu
de CO2 (principal responsable de l’effet de serre) et s’il
respecte les “normes Euro” les plus récentes, édictées
par la Commission européenne : les normes Euro-4
et 5. Le parc automobile belge représente 5 millions de
véhicules, dont 20% répondant aux normes Euro-0
(avant ’92-’93) et 1 (avant ’96-’97) : ceux-ci sont
responsables de 65% de la pollution automobile totale!
Le paradoxe est que ce sont les plus gros pollueurs
qui sont les moins taxés, vu que la taxe de mise en
circulation (TMC) diminue avec l’âge des véhicules...
De son côté, le secteur automobile investit des milliards
d’€ pour rendre ses voitures de plus en plus propres.
Entre les normes Euro-3 (2000) et les actuelles normes Euro-5, nous avons assisté à une réduction de
l’émission de NOx de 70% et 95% de particules fines !
Attention cependant : pour établir une fiscalité efficace
contre la pollution due au trafic automobile, les autorités doivent à nos yeux se baser sur des critères inattaquables comme les taux d’émission (dont le CO2) plutôt
que sur les technologies, éminemment évolutives.
Bernard CLERFAYT: Deux réflexions, basiques, tout
d’abord : 1°. la voiture propre est celle qui ne roule pas ;
2°. ce n’est pas la voiture en elle-même qui est source
de pollution, mais l’usage qu’on en fait...
Au-delà, le “must” technologique, ce sont les véhicules électriques, qui ne polluent pas du tout et qui
ne coûtent à l’usage que 1 ou 2 €/jour. Cependant,
ils ne conviennent que pour des déplacements courts
et ne répondent finalement qu’à une part limitée du
marché.
De toute façon, l’objectif pour le secteur n’est pas
le “0 émission” mais une réduction importante des
émissions. Le défi pour les pouvoirs publics est de
contribuer à notre niveau à la promotion effective
des voitures propres.
Luc BONTEMPS: L’approche de la question doit
être, comme au Japon notamment, holistique : les
objectifs environnementaux à atteindre doivent tenir
compte d’autres technologies qu’uniquement automobiles. Et promouvoir dans notre secteur une seule
technologie risque de freiner les autres...
Outre la réduction des émissions de CO2, indispensable, FEBIAC regrette que les revenus de la fiscalité
automobile (12 milliards d’€ annuels dans notre
pays) ne soient consacrés qu’à 15% seulement à
l’amélioration des infrastructures routières, un facteur de pollution trop souvent ignoré. Aux Pays-Bas, ce sont 3% du PNB qui sont investis dans les
infrastructures routières, pour 1,3% chez nous... Le
sous-investissement dans les chaînons manquants,
par exemple, a pour conséquence la création de
files. Pourquoi, à Bruxelles, ne pas avoir construit
des tunnels aux entrées de ville (carrefour Léonard,
Bertem,...) comme le mériterait pourtant la capitale
de l’Europe ?
Le comportement des automobilistes se révèle lui
aussi essentiel : si tous les Belges passaient à la conduite “e-positive”, incluse dans le permis
de certains pays voisins, nous pourrions réduire de
15% les émissions de CO2 !
Et la fiscalité a, bien entendu, elle aussi son rôle à
jouer. Avec PricewaterhouseCoopers, FEBIAC a produit une étude proposant une mesure fiscalement
neutre qui, elle aussi, permet une réduction de 17%
du CO2 : l’englobement de la taxe de mise en circulation dans la taxe de circulation, ce qui permettra
d’encourager les voitures propres plutôt que les
vieux véhicules très polluants.
Au niveau régional, le Ministre Michel Daerden a
permis à la Wallonie d’adopter un système d’écobonus/malus qui donne aux personnes qui achètent
une voiture (neuve ou d’occasion) un message très
clair. Une mesure qui fait de la Région wallonne l’un
des tout meilleurs élèves de la classe européenne en
matière d’émissions de CO2 par les véhicules. Hélas,
le Ministre Daerden n’a pas été suivi par ses collègues des autres Régions, en Flandre (où on réfléchit
à un système Ecoscore, bien plus complexe et moins
opérant) et à Bruxelles (qui s’apprête apparemment
à adopter également ces écoscores).
Nous pourrions espérer que le fédéral puisse aller
dans le même sens que la Région wallonne...
Bernard CLERFAYT: Malheureusement, le fédéral n’en
a pas le pouvoir, ces matières ayant été très largement régionalisées. Par ailleurs, le petit marché
qu’est la Belgique n’a pas non plus les moyens de
dicter ses volontés en matière de réduction de la
pollution européenne aux autres états européens.
Mais il est de notre responsabilité d’attirer sur nos
terres les producteurs des “nouvelles voitures” tout
comme de répondre à nos objectifs de Kyoto.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : le fédéral est déjà
fiscalement très actif dans la promotion des voitures
propres. L’équipe Verhofstadt-II avait déjà mis en
œuvre la réduction de 15% du prix des véhicules
émettant moins de 105 g de CO2/km ainsi qu’une
réduction de 200 € pour les filtres à particules
sur les véhicules diesel émettant moins de 130 g.
Depuis, est également devenue effective une modification du taux de déductibilité des frais professionnels liés aux voitures de société : désormais, les
émissions de CO2 déterminent ce taux (entre 60 et
90%), qui était auparavant pour tous de 75%. Des
aides cumulables avec les autres incitants régionaux, il faut le souligner.
D’autres mesures sont-elles envisagées ?
Bernard CLERFAYT: En tant que Secrétaire d’Etat en
charge de la fiscalité verte, je suis en effet en train de
déposer diverses propositions allant dans le sens des
propositions de FEBIAC.
Les filtres à particules, tout d’abord : chez nous, les
véhicules diesel qui en disposent bénéficient d’une
réduction de 200 €. En Allemagne, c’est 350 €, et
400 € aux Pays-Bas. Dans les prochaines semaines, je
vais proposer au Gouvernement de doubler la réduction
belge pour la porter de 200 à 400 €.
Les véhicules électriques ensuite : afin d’en encourager
l’achat, je vais également proposer à mes collègues
d’accorder une importante réduction sur l’achat des
voitures et des scooters électriques, jusqu’à 30%.
Au-delà, je me montre particulièrement attentif à de
nombreuses problématiques connexes. Quand je constate que Londres et Berlin ont pu développer un système de bornes électriques, je me dis qu’il est impérieux
que Bruxelles, capitale de l’Europe, et les autres grandes
villes du pays suivent ces exemples. Le LPG, les avantages fiscaux qui pourraient y être liés et la multiplication
des possibilités de rechargement doivent également être
associés dans cette réflexion.
Luc BONTEMPS: De nombreuses solutions technologiques sont au centre de nos recherches sectorielles : les
véhicules hybrides électricité/essence ou diesel, le gaz
naturel (qui nécessite un investissement financier personnel de la part du conducteur), les piles à combustible
(une solution basée sur l’hydrogène, toujours onéreuse
et qui ne dispose pas de bornes en suffisance : actuellement une seule en Belgique, à Drogenbos), les biocarburants,... De nombreux constructeurs considèrent ces
derniers comme une solution d’avenir, mais la Belgique
est sur ce point à la traîne alors que les produits, eux,
pourraient être facilement disponibles..
Bernard CLERFAYT: La promotion des biocarburants
font pour le moment l’objet d’un débat politique. La
technologie évolue à toute vitesse, et nous en sommes déjà à la deuxième génération : du bioéthanol
issu de la biomasse, des déchets verts, des déchets
alimentaires,...
L’exemple ne devrait-il pas venir aussi des
administrations, qui pourraient aussi adopter une flotte “verte” de véhicules ?
Bernard CLERFAYT: A Schaerbeek, commune dont je
suis le Bourgmestre en titre, nous avons acquis une
voiture hybride afin d’assurer les déplacements de
tous les membres du Collège, qui ne disposent donc
pas d’autre véhicule de fonction.
Nous pourrions passer à la vitesse supérieure en
achetant des véhicules communaux électriques, voire
en assurant la promotion de ces voitures auprès de
la population et en installant des bornes de recharge,
par exemple aux stations de véhicules partagés
Cambio. Mais, clairement, pareille réflexion ne peut
se mener à notre seul niveau communal mais à celui
de la Région de Bruxelles-Capitale tout entière. Paris,
par exemple, encourage les scooters électriques :
Bruxelles ne peut rater ce pari-là !
Luc BONTEMPS: Les voitures “non propres” constituent
la cause majeure de la pollution de nos villes. La Région
wallonne et le Ministre Daerden vont, je le répète, dans
ce sens : mais pourquoi, comme dans d’autres pays, les
autorités ne vont-elles pas plus loin en finançant également la mise à la casse des voitures répondant toujours
aux normes Euro-0 et Euro-1 ? Ajoutées à l’incorporation de la taxe de mise en circulation dans la taxe de circulation, à la promotion des
véhicules émettant le moins de CO2 et au respect des
normes Euro, les véhicules propres coûteront finalement moins cher que les plus polluants.
Mais les voitures les plus polluantes
n’appartiennent-elles pas aux personnes les
moins socialement favorisées : quid dès lors
de leur pouvoir d’achat ?
Bernard CLERFAYT: Il nous appartient effectivement
de rendre l’équation budgétaire et environnementale
plus accessible pour les plus démunis.
Luc BONTEMPS: Contrairement aux idées reçues, les
véhicules les plus polluants sont plus nombreux en
Flandre qu’en Wallonie. Et ils jouent plus souvent le
rôle de troisième véhicule familial que de premier...
A la FEBIAC, vous plaidez pour le double
système “CO2 + normes Euro” plutôt que
pour les écoscores : pourquoi ?
Luc BONTEMPS: S’il part clairement d’un excellent
sentiment, l’écoscore tel que proposé par la Région
flamande (et probablement bientôt par la Région
bruxelloise) est tellement complexe qu’il en devient
inefficace : cet outil veut en effet mesurer le caractère écologique global d’un véhicule, en prenant en
compte un nombre impressionnant de critères liés
aux conséquences sur l’effet de serre, à la qualité de
l’air ou aux nuisances sonores. Ces données peuvent
varier fortement d’un modèle à l’autre d’une même
voiture et, de plus, certaines d’entre elles sont hautement subjectives, comme les émissions de soufre (qui
varient selon l’âge et le degré d’entretien du véhicule)
ou le bruit, qui dépend notamment des pneus et des
revêtements...
Face à cette complexité, source d’erreurs permanentes pour les utilisateurs comme pour les autorités, les
émissions de CO2 sont claires, identifiées et incontestables, tout comme les normes Euro. Ces critères
simples nous sont imposés par l’Europe et, au niveau
mondial, les normes Euro sont considérées comme
les meilleures...
Bernard CLERFAYT: Il faut aussi ajouter que, plus un
système est compliqué, plus il donne lieu à des possibilités de fraude. On peut très bien “kitter” son véhicule pour quelques heures seulement afin qu’il présente un
écoscore très satisfaisant lors des contrôles...
Luc BONTEMPS: Devant les disparités régionales en
matière de fiscalité verte, il nous semble aussi que
le fédéral pourrait jouer un rôle de coordinateur
efficace...
Quels efforts doivent-ils encore être entrepris de part et d’autre ?
Bernard CLERFAYT: Je fait personnellement confiance
au secteur : des efforts, il en a fait, il en fait, il en
fera encore ! C’est aux politiques d’édicter les contraintes qui, sans pénaliser le secteur, lui permettront
de continuer à avancer vers moins de pollution,
d’émissions, de consommation et, finalement, de
coût d’usage du véhicule...
Les constructeurs sont aujourd’hui parvenus à déjà
produire des voitures n’émettant plus que 100 g de
CO2/km ; pourquoi pas 50 ?
Luc BONTEMPS: Il faut cependant que toutes les parties demeurent réalistes, tout comme doivent l’être
les timings qui sont imposés à un secteur pour qui
les challenges sont nombreux : environnement, mais
aussi sécurité, confort et ergonomie,... Mais malgré
l’excellent bulletin (notamment environnemental) que
nous pouvons, je pense, présenter, l’image de la voiture
demeure faussée : alors que la voiture n’est responsable
que de 10% des émissions totales de CO2, les gens
pensent que c’est beaucoup plus. Et des paradoxes
existent : au dernier Salon de l’auto, un sondage
professionnel a démontré que 80% du public était
intéressé par les qualités écologiques des voitures mais
que 1% seulement s’était rendu dans un “green corner”
des exposants...
Bernard CLERFAYT: Les citoyens, on ne le répétera
jamais assez, sont au cœur de la problématique. La
conduite agressive ou l’utilisation de la voiture pour
de courts trajets, entre autres, sont autant de petits
actes personnels polluants qui ne sont tout de même
en rien imputables aux véhicules eux-mêmes ou au
secteur...
Luc BONTEMPS: FEBIAC plaide également auprès des
autorités pour une mobilité plus intégrée, réfléchie
de manière bien plus large qu’actuellement, avec
par exemple la construction de grands parkings à
côté des stations de métro ou du futur RER. Cette
complémentarité, et d’autres, permettront aux automobilistes de changer de comportement. A ceux-ci
aussi de penser en termes de “mobilité différente” :
transports publics, vélo, moto, scooter,...
Bernard CLERFAYT: Le covoiturage, également, est une
solution intéressante, comme les voitures partagées
de style Cambio. Au Gouvernement fédéral, avec le
Ministre des Finances Didier Reynders, nous voulons
d’ailleurs donner les mêmes avantages fiscaux aux
entreprises qui encouragent les voitures partagées
que pour les véhicules de société.
Le bilan fédéral que nous pouvons avancer est, au
niveau des chiffres comme des résultats, assez satisfaisant, je pense. Depuis leur entrée en vigueur à la mi-
2005, les aides fédérales pour les véhicules propres ont
déjà touché 7.775 véhicules émettant 15% de CO2 en
moins (pour un montant de 21 millions €) et 13.903
pour ceux émettant 3% en moins (5 millions €, sans
oublier les 12.793 filtres à particules financés à hauteur de 200 € chacun. Et le mouvement ne fait que
s’accélérer : sur les seuls 8 premiers mois de 2008,
ce sont déjà au total 31 millions € d’aides fédérales
“vertes” qui ont été distribuées aux propriétaires de
véhicules. Cela aussi permet concrètement à la population de modifier ses comportements...