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LA VOITURE DANS L’ENTONNOIR. QUAND BRUXELLES SE MET À RÊVER DE MOBILITÉ (NOVEMBRE 2010)

Adieu, Reine auto ! Aujourd’hui, l’on assiste à un revirement total de la politique de mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale. Pendant des décennies, la voiture a régné sur la ville, asservissant habitants et infrastructures. Cette époque est bel et bien révolue. Bruxelles est restituée aux usagers faibles, aux transports en commun et aux Bruxellois. On l’entend soupirer de soulagement, ses parcs reverdissent, et ses promeneurs, cyclistes et gentils autobus retrouvent le sourire. La voiture doit quitter la ville.

Et même pas besoin d’attendre la mise en oeuvre du plan IRIS-2. Les projets ambitieux jaillissent de toutes parts et les premiers jalons de la nouvelle politique sont posés avec ostentation. Le prix des places de parking grimpe en flèche alors que leur nombre, lui, ne cesse de diminuer. Le pentagone est promu 'plus grande zone 30 d’Europe'. Les sites propres, couloirs bus et aménagements cyclables gagnent chaque jour du terrain. Tout cela avec un seul objectif avoué : asphyxier le trafic automobile. En tête de liste des actions à entreprendre : le rétrécissement de l’E40 venant de Liège, à la hauteur de l’entrée dans la région de Bruxelles-Capitale, ainsi que la démolition du viaduc Herrmann-Debroux. Fini de rire !

La situation est grave ? Rendons-la désespérée.
La stratégie sous-jacente de cette politique est aussi simple qu’évidente : paralyser autant que possible le trafic automobile afin que l’automobiliste, las de manger son volant, finisse par rejoindre le peloton des cyclistes et les rangs des usagers des transports en commun. Otez ses avantages à la voiture et vous renforcerez les atouts de la concurrence. Dirigez le flot vers l’entonnoir et le problème disparaîtra de luimême. Malheureusement, cette stratégie fait fi des lois de la physique et de la circulation. En créant des goulots d’étranglement, vous invitez les automobilistes à faire ce qu’ils font de mieux, à savoir trouver des itinéraires bis, se faufiler partout, contourner les obstacles, comme le ferait l’eau. Et c’en est fini de vos bonnes intentions de rendre les quartiers résidentiels vivables et de réguler la circulation. L’approche des autorités bruxelloises est en contradiction la plus totale avec celles des villes modèles où l’objectif consiste à canaliser le trafic automobile sur des artères principales afin de le fluidifier. Cela permet de créer des zones à trafic limité et des zones piétonnes sans pour autant hypothéquer l’accessibilité ni faire exploser le nombre d’heures perdues dans les bouchons. Bruxelles, au contraire, est en train d’aggraver son problème infrastructurel. On va se débarrasser de la voiture, annonce-t-on. 20% de voitures en moins dans les rues de Bruxelles en huit ans. De belles paroles ! Qu’il faille réduire le stress sur le réseau routier, tout à fait d’accord. Mais voilà, dans une métropole, une (très grande) partie du trafic des voitures et des camions est indispensable pour préserver le tissu social et économique. C’est une réalité qui ne se contourne pas, pas même à vélo.

Je me pose d’ailleurs la question de savoir si cette politique d’asphyxie du trafic automobile aura plus de succès demain qu’aujourd’hui. Bruxelles figure déjà en tête de liste des villes européennes où l’on perd le plus de temps dans les embouteillages. Aucune ville ne fait mieux, pas même Paris, Milan, Palerme ou Varsovie. Les facteurs décourageants ne manquent pas, et pourtant, aucun changement de mentalité n’est encore perceptible. L’automobiliste belge a-t-il la peau plus dure que ses voisins européens qui, eux, ont réussi à faire rimer moins de congestion avec plus de transport collectif non motorisé ? Ou ne s’agit-il ni de peau dure ni de mauvaise mentalité ? C’est ce que je crains.

Bruxelles veut-elle vraiment un système de transports cohérent ?
Sans tomber dans des lieux communs, comme la qualité et le service perfectible des transports en commun, n’importe quel usager qui arrive à Bruxelles peut directement mettre le doigt sur une multitude de points noirs. La station de métro Érasme, par exemple. Construite dans le cadre du dernier prolongement du réseau de métro, elle était censée offrir des perspectives aux navetteurs du Pajottenland. Seulement voilà : l’automobiliste qui veut combiner le trajet domicile-métro, assez fluide et donc peu polluant, à un déplacement souterrain dans la ville, voit son effort multimodal récompensé par un manque déconcertant de possibilités de parking par rapport au potentiel de voyageurs. Stationnement limité à quelques heures ou amendes de 15 euros par demi-jour : faites le compte de ce que cela coûterait par mois, et vous comprendrez que les gens choisissent le confort de leur petite voiture. Ils ne sont pas fous. Des stations de métro qui ne permettent pas aux navetteurs de prendre une correspondance... C’est à se demander si Bruxelles veut vraiment jouer la carte de la multimodalité.

Choix de principe et vrais arguments
De vraies solutions de rechange et une vraie complémentarité, voilà ce qu’il faut. Des attentes réalistes, aussi. Lorsque les grandes idées des groupes de réflexion et autres commissions sont soumises au test de faisabilité, le constat ne tarde pas à tomber : aux heures de pointe, le métro, le tram et le bus atteignent leur capacité maximale, tout comme la voiture. Quand on sait que l’axe nord-sud est déjà saturé pour les trains, vouloir augmenter la capacité des transports en commun revient à prendre ses rêves pour des réalités. Mais la politique d’asphyxie a un autre coût. Celui de la pression inutile sur la qualité de l’air. Lorsque Touring a cité une des conclusions de l’étude sur la mobilité réalisée par la KU Leuven pour son compte et celui de FEBIAC, à savoir que des feux de signalisation mal synchronisés occasionnaient une importante perte de temps et une importante pollution atmosphérique inutile, le Secrétaire d’État Bruno De Lille déclare sans détour que c’est fait exprès. Nous le savons, et nous ne faisons rien. Des positions de principe comme argument péremptoire. C’est absurde. Les auteurs de tels choix politiques destructeurs devraient être invités à en répondre. La mobilité est aujourd’hui un bien précieux et nécessaire, si précieux d’ailleurs, qu’on ne peut la galvauder, a fortiori quand elle s’accompagne d’un important coût environnemental.

On ne touche à rien alors ?
Je ne veux pas dire que le trafic (automobile) doit rester inchangé. Bruxelles a besoin d’un plan global de mobilité. Non, les voitures ne devraient plus pouvoir s’arrêter aux pieds du Manneken Pis. Et oui, les zones résidentielles méritent un régime à trafic limité. Mais que l’on respecte aussi les droits du trafic automobile en lui offrant des artères qui le fluidifient, des connexions efficaces au réseau de transports en commun et une politique qui tient compte de tous les utilisateurs de la route et les place sur un pied d’égalité. Cela commence par des mesures aux effets visibles à court terme, qui coûtent peu et rapportent gros – comme la synchronisation des feux - pour déboucher sur un tissu de modes de transport réellement au service les uns des autres. Tant que les choix politiques resteront fondés sur de grands principes dogmatiques, et non sur de vrais objectifs en matière de mobilité et d’environnement, ils continueront à nous enfoncer un peu plus loin dans l’entonnoir qui, à force, finira bien par déborder.

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